• Pourquoi la Décroissance Communiste Libertaire ?

    I Pourquoi le besoin d’une « décroissance » ?

    Idées reçues sur le concept de décroissance 

    Pour certains révolutionnaires anticapitalistes, la solution pour une société écologique consiste à abolir le capitalisme, la recherche du profit à tout prix, au mépris de l’environnement. Or si la solution réside dans le renversement du capitalisme, alors la décroissance serait inutile, puisque l’on abolit alors la « croissance ». « LA décroissance » apparaît comme un concept bourgeois de gestion alternative du capitalisme, (en contradiction totale avec ce dernier) et/ou une conception réactionnaire. De plus, elle développe des formes de culpabilisation de la consommation des pauvres et une critique parfois virulente de leurs luttes sociales, plutôt que de les inciter à s’unir pour détruire le capitalisme.

    A De quoi parlons-nous lorsque nous parlons de décroissance ?

    1 La décroissance n’est pas entendue ici comme concept économique

    Concernant l'économie, ECR-DCL ne parle pas de décroissance mais de récession. La récession économique n’est pas ce que défends ECR-DCL, ni par ailleurs ce que défendent des décroissants comme ceux du MOC.

    Au niveau de l’économie, on parle d'objection de croissance ou d’A-croissance, ou, plus précisément, de sortie du système basé sur la croissance comme moteur des activités sociales. La croissance comme moteur des activités sociales est, par exemple, la logique capitaliste social-libérale – typique de la sociale démocratie, mais aussi de certains socialistes radicaux, ou mouvements se revendiquant de l’anticapitalisme – qui consiste à financer des activités sociales utiles ou des services publics à partir de la production de survaleur, donc de la croissance, qui implique de vendre des marchandises plus chères que leur strict coût de production, pour faire des profits redistributifs ; et ce, dans un système où la valeur produite tend à diminuer. Au contraire, il faudrait s’émanciper de la valeur et organiser la production parce qu’il y a des besoins ; en fonction des moyens matériels et des connaissances dont on dispose, ou dont on souhaite se doter, et du temps que les gens ont de disponible et décident collectivement d’y consacrer.

    2 La décroissance dont parle DCL s’apparente à un concept écologique 

    Il s’agit de revenir en dessous du seuil de soutenabilité (qu'on appelle aussi l'empreinte écologique), c'est-à-dire de diminuer les consommations de ressources, de ralentir leur rythme de consommation, notamment des ressources non-renouvelables et renouvelables sur un temps long, qui implique de produire moins et mieux. La réduction de la consommation de matière, d'énergie et de biens manufacturés, est nécessaire pour réduire les impacts sur le climat, les eaux et les sols (extractivisme et dérégulation géologique), la biodiversité, etc, ainsi que pour limiter les risques techno-sanitaires majeurs.

    Parmi les 4 options de l'écologie aujourd'hui, (croissance verte, développement durable, croissance zéro, décroissance), seule la décroissance est valable. Les autres propositions sont tout simplement insoutenables au niveau de la consommation/du rythme de consommation actuel des ressources, et en fonction des dégâts climatiques, biologiques et géologiques engendrés.

    B Est-il utile, malgré tout, de se revendiquer décroissant ? 

    1 Communisme, Anarchisme et la question de la croissance

    Dans l’analyse critique du capitalisme et de ses conséquences en elles-mêmes, la décroissance va bien évidemment de soi. Il n’y aurait normalement pas besoins de préciser « décroissance », puisque l’anticapitalisme, le communisme, serait censé balayer, en soi, l’idée même de croissance économique, à la base du capitalisme ; comme il devrait également mener à l’abolition de l’Etat.

    Cependant, le mouvement anticapitaliste a produit des conceptions étatistes et croissancistes. Ces dernières ont été largement dominantes dans son histoire et sont les plus médiatisées. Elles sont, de plus, encore véhiculées par un certain nombre de militants marxistes ou anarchistes.

    Si le concept de communisme constitue une critique de l’idée de croissance économique, caractérisée par la recherche de l’augmentation constante du taux de plus-value et de profit, le mouvement communiste du siècle dernier à fait l’apologie de la croissance intensive et extensive. Ces dernières devaient permettre la satisfaction illimitée des besoins individuels et sociaux, tout en supprimant – au moins en grande partie – le travail humain. Il s’agissait donc d’une logique d’expansion illimitée et démesurée. La vision prométhéenne de la « libération des forces productives » est une certaine interprétation de Marx, mais aussi des anarchistes comme Kropotkine, qu'on retrouve encore chez des marxistes et des anarchistes. Aujourd’hui, on pourrait dire que la « libération des forces productives » consiste dans l’émancipation par rapport à la valeur et aux impératifs de rentabilité en vue de l’adaptation de la technique aux impératifs de soutenabilité et de durabilité. Il s’agit sans doute d’une petite subtilité rhétorique sans doute inutile et sans grande importance, mais que l’on pourrait tout de même opposer aux discours de marxistes ou d'anarchistes prométhéens dogmatiques. 

    2 La critique de la démesure

    Parler de décroissance permet d’attirer l’attention sur la nécessité de prendre en compte la critique de la démesure (Hybris), et de réfléchir aux conditions d’autolimitation de la consommation de matières premières, d’énergie et de produits manufacturés.

    La société sortira en effet du capitalisme avec des restes d’éducation à la démesure, avec toute une série de conflit entre raison et le désir, contre lesquels il faudra lutter, si nous ne voulons pas une société qui se dirige vers son suicide. La population, ou certains militants anticapitalistes, d’abord extrêmement préoccupés par la question sociale (on ne peut leur reprocher une telle préoccupation), seraient, en effet, peut-être enclins, en dernière instance, à faire preuve d’irrationalité et d’aveuglement, et donc à forcer la réalité. Il serait donc trop facile d’attribuer la responsabilité des surconsommations au centralisme étatique gaspilleur, aux erreurs de la bureaucratie, au pharaonisme des dirigeants.

    La question de la transformation du système productif et de la soutenabilité ne sera centrale, dans le cadre d’une sortie du capitalisme, que si elle est portée par un mouvement suffisamment fort, qu’il nous faut commencer à préparer dès maintenant si nous voulons qu’il soit prêt lorsque viendra la révolution. 

     

    II Pourquoi la décroissance doit-elle être « communiste libertaire » ?

    A LA décroissance ou une décroissance communiste libertaire ? 

    1 la décroissance « sans adjectif » constitue-t-elle une démarche pertinente ?

    Le MOC, le PPLD et d’autres décroissants ont fait le choix de dilater la décroissance pour l’appliquer à différents champs : 

    décroissance de l’empreinte écologique,

     décroissance des rythmes de consommation des ressources,

     décroissance des mégastructures,

     décroissance des distances d’échanges (relocalisation de la production et de la distribution),

    mais aussi :

     décroissance des inégalités,

     décroissance du pouvoir (relocalisation de la politique, diminution du pouvoir des élus, restitution de la place de la société civile dans le débat et les prises de décision),  

    pour remettre ces dimensions à l’échelle humaine, de l’individu et des communautés de base.

    Dilater le concept de décroissance constitue une démarche intéressante, mais il ne s’agit pas, pour DCL, du choix le plus pertinent. Il sera en effet très difficile de parvenir à imposer unanimement cette vision de la décroissance dans la société, et notamment dans la nébuleuse des mouvements et des conceptions qui s’en revendiquent et se diffusent actuellement. Il serait plus préférable de laisser la décroissance rester une dimension spécifique – la réduction de l’empreinte écologique en deçà des seuils de soutenabilité et de dangerosité accrue – au sein d’un projet plus vaste, plutôt que de tenter d’en faire une conception intégrale, un projet de société en soi.

    2 La décroissance communisme libertaire

    DCL, s’est construite sur la base de plusieurs influences : principalement de la critique de l’éco-socialisme, et de la lecture des travaux de Jean-Pierre Tertrais, qui parlait de décroissance libertaire, mais restait flou sur la question du communisme. Cette conception de la décroissance fut alors enrichie et remaniée par sa mise en lien avec le communisme de Kropotkine, la critique de l'économie politique de Marx, et la critique de la valeur. 

    La décroissance de DCL n'est donc pas LA décroissance « sans adjectif », mais UNE Décroissance, Communiste Libertaire, au sens fort de chacun de ces deux termes. Sans la synthèse de ces trois composantes, c'est effectivement la porte ouverte à la catastrophe sur un plan ou sur un autre.

    Prenons-les donc un a un pour en saisir les limites.

    Décroissance :

    La décroissance, prise isolément, ne précise rien, en elle-même, de ses conditions socio-économiques et politiques. Elle peut donner lieu à des modèles Etatiques, bureaucratiques, autoritaires, maintenir les régimes de propriété et d’exploitation, maintenir l’atomicité et la concurrence, et donc les formes sociales sources de la récession. Il faut la compléter par l’anarchisme et le communisme.

    Socialisme et Communisme :

    « Communisme » est souvent utilisé de manière interchangeable avec « Socialisme ». Or le socialisme est devenu bien trop polysémique. Il renvoie à des modèles et des courants politiques très différents, voie antagonistes. Au niveau politique, on peut retrouver sociale démocratie, socialisme réformiste, d’un côté, et socialisme révolutionnaire, autoritaire ou libertaire de l’autre. Au niveau économique, s’en revendiquent des courants socio-libéraux, socio-keynésiens, socio-mutuellistes/coopérativistes, socio-collectivistes, socio-communistes. Les deux premiers font de la croissance économique le moteur du développement social. Les profits, liés à la spoliation de la survaleur, sont destinés, pour partie, à la captation sous forme d’impôt étatique, en vue de l’investissement dans le maintien des services publics et des activités sociales utiles. Sans production de survaleur, donc sans croissance économique, pas de financement, pas de service publique ni d’activité sociale utile. Cette logique est bien évidemment aberrante. Les courants mutuellistes ou coopérativistes, quand à eux, maintiennent une situation d’atomicité et de concurrence, et donc d’inégalité et de vulnérabilité des travailleurs (exposition au risque de suractivité pour assurer un revenu moyen, au risque de faillite et d’exclusion, au risque de surproduction et de gaspillage matériel et énergétique). Quant au collectivisme, il renvoie historiquement à des modèles de maintien du salariat, des inégalités, des hiérarchies des revenus à travers une logique méritocratique à la compétence ou à l’effort fourni. En cela, il entretient aussi une logique mimétique productiviste. Ceux qui bénéficient d’un plus haut revenu tendent vers une plus grande consommation, ce qui invite ceux bénéficiant de bas revenus à travailler plus pour gagner plus et consommer plus. Cette logique, même avec un verdissement de la production, est potentiellement insoutenable. Seul le socialisme communiste, c'est-à-dire le communisme, est économiquement valable du point de vue de l’émancipation sociale.

    Mais le terme « communisme » est devenu, à travers son histoire, porteur d’une ambigüité politique. Il peut signifier le maintien de l’Etat, le développement de régimes technobureaucratiques et autoritaires, comme renvoyer à l’abolition de l’Etat, et au développement de la démocratie directe, du fédéralisme et de l’autogestion. Il renvoie aussi largement à des visions sur-consommatrices métaboliquement insoutenables, et, lorsqu’il se revendique de l’écologie, porte la confusion au niveau des logiques de développement durable (green washing) ou de décroissance. Le communisme doit donc être libertaire et s’inscrire dans une logique de décroissance.

    Anarchisme/Libertaire

    L'Anarchisme « sans adjectif », dans la démarche synthésiste – parce que les anarchistes ne sont pas unanimes sur la synthèse en question –  est porteur de confusion à deux niveaux : en ce qui concerne le socialisme/le communisme et en ce qui concerne le développement durable/la décroissance.

    Le socialisme peut en effet être Proudhonien ou Keynésien, et donc – comme nous l’avons précédemment expliqué – concurrentiel, inégalitaire. Il peut fonctionner sur la base de la logique de production de valeur économique, ce qui mène à une société de vulnérabilité économique individuelle et potentiellement à des crises économiques à répétition. Il peut être collectiviste et donc méritocratique. Il peut être Kropotkinien, c'est-à-dire, « communiste », égalitaire et émancipé de la production de « valeur » économique. Une société anarchiste ou libertaire qui ne serait pas communiste, conduirait à une impasse sociale. L’écologie Anarchiste, ou libertaire, quant-à-elle, peut être en partie productiviste, développement durable (ou green washing), et ne pas aller jusqu’au bout de la critique émise par la décroissance. Elle pourrait aussi sombrer dans les conceptions réactionnaires de l’écologie profonde et la technophobie, présentes chez certains philosophes ou idéologues « anarchistes ». De ce fait, l’Anarchisme doit être conjugué au communisme et à la décroissance.

     

    B Lutte de classes, égalité sociale, contrôle commun et décroissance   

    1 La question de l’égalité économique dans la consommation

    La diminution de la production de biens et de la consommation de ressources devra s’effectuer de manière égalitaire (pas d'avantages sociaux pour des minorités et abolition des classes sociales). Sans cela, les moins avantagés seront tentés de vouloir autant que les plus avantagés, et feront pression politiquement, ce qui entretiendra le productivisme.

    Le problème de la sur-consommation réside en effet au niveau des dynamiques de valorisation et d'innovation sociales, s’effectuant par la distinction et l'imitation de classe (Bourdieu, Mendras). L’écologie développement durable est l’idéologie d’une classe moyenne, c'est à dire d'une classe en quête de valeur sociale et opérant une forme de distinction par les valeurs morales prônées, le mode de vie et la pratique, notamment par la consommation écologique (éco-confort, label bios et green washing). Elle amène soit à une hégémonie, caractérisée par volonté d'imitation de ces pratiques par les couches sociales inférieures, soit à un rejet.

    L'imitation de ces classes moyennes peut tendre vers l'entretient d'un productivisme, sous la forme d’un green washing. La généralisation du green washing constitue une probabilité forte, du fait de la logique capitaliste marchande. L'innovation sociale fonctionne dans la diffusion de produits ou de modèles de produits, d'abord chers, aux classes aisés. Puis, l'envie d'avoir la même chose que les classes aisées amène à une l'augmentation de la demande. Pour aligner l'offre, se produisent alors des investissements en capital (machines) pour permettre une hausse de production (et de productivité), des économies d'échelles, pour aller vers une baisse du coût unitaire (et ce parfois au prix des salaires et généralement du taux de profit). Ces biens deviennent donc, à moyen-terme, accessibles à la grande majorité de la population (sauf quand la baisse des salaires est trop forte et que la demande devient alors non-solvable). C'est en ce sens que l'imitation sociale de l'éco-consommation conduit à entretenir un certain productivisme. Mais une telle généralisation, si elle est plus écologique que la précédente, est très certainement insoutenable dans l'absolu ?

    Le rejet de l’idéologie écologiste de classe moyenne, quant à lui, peut tendre vers la volonté de conservation des structures productivistes actuelles... Mais une autre voie peut ici être trouvée ; une voie de classe, qui ne soit ni l'éco-confort, ni la défense du productivisme actuel, mais celle d'une décroissance, articulant autonomie culturelle de classe, égalité sociale-économique et autogestion. 

    2 Trois sorties du capitalisme, trois révolutions à accomplir !

    Pour DCL, il s’agit d’accomplir conjointement trois révolutions : révolution sociale/politique, révolution économique, révolution écologique (et en vérité 5 : révolution sociétale/culturelle, révolution inter/anti-nationaliste). D’un certain point de vue, ces 3 (ou 5) révolutions n’en constituent qu’une seule. Cependant, les révolutions sont accomplies par des millions de personnes et nous ne maitrisons ni leur rythme, ni leur ordonnancement. En ce sens, il ne s’agit pas d’une logique du « tout ou rien », mais d’une approche ouverte aux logiques gradualistes révolutionnaires, envisageant la possibilité de plusieurs révolutions successives, sans présager par avance de leur ordonnancement.

    La Décroissance Communiste Libertaire passe par la lutte des classes, le contrôle commun des moyens de production en vue de satisfaire les besoins réels les plus fondamentaux, élémentaires et soutenables (on évaluera d’une manière démocratique, articulant décisions de la majorité et respect des particularités, les possibilités et les limites pour le reste), l'abolition de la valeur, de l’Etat, la démocratie directe et l'autogestion. 

    La Décroissance Communiste Libertaire n’envisage pas de culpabiliser les pauvres, mais de les amener à reprendre le contrôle des moyens de production pour les adapter à leurs besoins et aux impératifs de soutenabilité (cette seconde dimension doit être mise en avant plus fortement).

    Les pratiques individuelles – la simplicité volontaire – sont intéressantes en termes de pédagogie et de préparation de la sortie du capitalisme, mais ne doivent pas être utilisées de manière culpabilisatrice ou répressive.

    Dans le cadre d’un processus de réappropriation des moyens de production et de communisation, le syndicalisme remis sur pied et transformé, la résurgence du syndicalisme révolutionnaire, en tant qu’il serait outil de coordination horizontal et fédéraliste la classe ouvrière – au niveau des luttes sociales et de la gestion de la production –, s’avèrerait un apport incontournable.  

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  • Commentaires

    1
    pat de bouc
    Jeudi 18 Juin 2015 à 09:51

    boujou bien,

    texte très bon, didactique, clair et argumenté; le passage sur la critique des mots dépassés "socialisme"... est un peu "faible" notamment sur son versant anarchiste tout aussi dépassé si on reprend l'argument de base, discutable.

    je lis l'autre texte, en tout cas bravo!, patoche.

    2
    Jeudi 18 Juin 2015 à 18:57

    Le passage sur le "socialisme" est un peu faible car c'est un résumé rapide de ce qui a déjà été cris par ailleurs dans d'autres textes notamment dans le chapitre I de Pour une Décroissance Communiste Libertaire.pdf

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    3
    pat de bouc
    Vendredi 19 Juin 2015 à 00:20

    merci de la précision, un nouveau texte à lire dès que possible! bonne lutte.

    signé accesoirement aussi P.A.S.T.E.Q.U.E, pour l'autonomie socialiste écologie question d'unité ensemble... vert dehors, rouge dedans, et noirs pépins!, une tendance loufoque du NPA limitée strictement à moi et mes autres multiples habitants intérieurs!

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